Créatures légendaires et contes anciens

Deetrı̀n’ Ehchı̨ı̨ K’ı̀t • Lits de corbeaux

Les restes du bison des steppes ont été découverts à proximité de trois dépressions situées sur les rives de la rivière Arctic Red. Les Gwichya Gwich’in appellent ces dépressions« Deetrı̀n’ Ehchı̨ı̨ K’ı̀t », ce qui signifie « lits de corbeaux ». Les contes Gwich'in sur les corbeaux viennent d’une époque où les animaux et les humains pouvaient se métamorphoser et se comprendre. Dans ces récits, le corbeau est d’une nature complexe. Il est aussi réputé pour ses pouvoirs magiques et sa vivacité d’esprit que pour son orgueil et sa propension à duper les autres.

Dans une de ces légendes, le corbeau, pétri d’orgueil, manigance pour faire croire aux grèbes (oiseaux plongeurs) qu’ils ont perdu leur beauté. Même si le corbeau amène les grèbes par la ruse à brûler leur magnifique plumage, il est attrapé par ces derniers – qui sont victimes d’horribles brûlures – et finit par perdre son bec.Deetrı̀n’ Ehchı̨ı̨ K’ı̀t est l’endroit même où le corbeau se remet de ses blessures avant de comploter pour récupérer son bec.

Écoutez la légende Gwich'in sur les lits de corbeaux, un conte traditionnel relaté par Annie Norbert, lu par Karen Mitton (Français) et Karen Mitchell (Gwich'in).

Est-ce une simple coïncidence que le bison des steppes ait choisiDeetrı̀n’ Ehchı̨ı̨ K’ı̀t pour dernière demeure ou bien le corbeau l’aurait-il précipité vers la mort avec ses paroles enjôleuses?

Le Mammouth et le souris

Dans une autre légende Gwich’in datant de la même époque, un mammouth joue un rôle important. Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme qui demande à son beau-père où trouver des matériaux pour faire des flèches. Le beau-père, qui souhaite secrètement se débarrasser du jeune homme, l’envoie sur le territoire des grands animaux pour trouver des os qui lui serviront à fabriquer des pointes de flèche.

Contraint de tuer un mammouth, le jeune homme demande à une souris de l’aider : « Petite souris, monte le long de la patte arrière de ce gros animal. Rentre par son rectum et grignote sa moelle épinière jusqu’à ce que tu arrives à l’aorte. Tu ne manqueras pas de nourriture. »

La petite souris s’exécute et tue le mammouth. Aujourd’hui encore, vous pouvez voir les traces des pattes des petites souris sur la colonne vertébrale des grands animaux.

Après d’autres péripéties pour se fabriquer des tiges de flèche et récupérer des plumes, le jeune homme confectionna une flèche et tua son perfide beau-père.

Les mammouths, comme la plupart des autres espèces de la mégafaune, ont disparu de l’Amérique du Nord à la fin de la période glaciaire.

Atachuukąįį

En plus des légendes Gwich'in, d’autres contes dénés évoquent une époque lointaine où la Terre était peuplée par des castors géants. Ces castors représentaient un grand danger pour les Dénés, car ils frappaient l’eau avec leur immense queue pour déstabiliser les canoës.

Atachuukąįį, un héros de la culture dénée, chassa et tua les castors géants pour rendre le monde plus sûr pour les hommes. D’après la légende, de nombreux paysages des TNO furent façonnés par les combats d’Atachuukąįį contre les castors géants et ces lieux portent aujourd’hui des noms évocateurs du passé. Les fossiles de castors géants datant de la période glaciaire nous indiquent que ces animaux étaient aussi gros que des ours noirs et que leurs incisives (dents de devant) mesuraient plus de 15 cm de long. À l’instar des mastodontes, des mammouths et des autres espèces de la période glaciaire, les castors géants ont disparu il y a environ 10 000 ans.

Il est fascinant de penser que les ancêtres des Dénés aient pu croiser le chemin de castors géants, et que les récits de ces rencontres se soient transmis au fil des générations.

Beringia

Au cours de la dernière période glaciaire, l’eau de la planète a gelé en telle quantité dans les nappes glaciaires recouvrant l’Amérique du Nord et l’Eurasie que cela a provoqué une baisse du niveau de la mer. Les fonds marins du plateau continental de l’Asie orientale et de l’ouest de l’Amérique du Nord se sont retrouvés exposés, formant ainsi une importante voie de passage entre les deux continents, que l’on appelle Béringie. Il y a environ 15 000 ans, l’eau provenant de la fonte des glaces s’est écoulée dans la mer. Ainsi fut formé le détroit de Béring. Les contours des côtes se sont stabilisés il y a environ 6 000 ans.

La Béringie et ses eaux libres étaient alors un refuge pour les plantes et les animaux de la toundra qui pouvaient résister à ce climat de désert arctique battu par les vents. Le bison des steppes de Tsiigehtchic vivait alors à la limite de la bordure orientale de la Béringie. Cela nous indique que, même à proximité des nappes glaciaires, le biotope local permettait aux herbivores comme les bisons de s’alimenter. Des humains vivaient également en Béringie. Des traces de leur présence (chasse et autres activités) ont été trouvées sur des sites archéologiques en Sibérie, en Alaska et au Yukon.

Superficie maximale de la Béringie, il y a 20 000 ans.

La steppe à mammouths

Le bison des steppes vivait dans un écosystème qui n’existe plus dans le Nord aujourd’hui. Au lieu de la forêt boréale et de la toundra se trouvaient de vastes prairies, ou steppes, dans cette Béringie de la période glaciaire. Des mammouths laineux, des chameaux, des chevaux et des bisons peuplaient ces horizons. Le pergélisol a souvent permis de conserver leurs dépouilles, ce qui a conduit les scientifiques à considérer la Béringie comme un « musée génétique de la période glaciaire ».

La relation existant entre la végétation steppique et les grands mammifères de la période glaciaire ont amené les scientifiques à appeler ce biotope la « steppe à mammouths ». En Béringie, le climat était très sec et venteux, ce qui générait beaucoup de poussière en été, et créait des paysages alternant langues de terre et congères en hiver. Les arbres et les lacs étaient rares, mais la végétation était variée dans les prairies en été, avec notamment ses arbustes et ses fleurs sauvages de la toundra aux couleurs bariolées. Les trois grandes espèces les plus courantes étaient le bison, le cheval et le mammouth, tous des ruminants qui broutaient de l’herbe.

Illustration montrant la variété des espèces animales pendant la période glaciaire, créée par la National Geographic Society en 1972. Voyez-vous les chasseurs qui encerclent l’énorme paresseux marcheur?

Disparition

Le réchauffement climatique qui marque la fin de la période glaciaire entraîne une perturbation des écosystèmes mondiaux ainsi que la disparition de nombreux animaux de la steppe à mammouths.

Certains suggèrent que 70 % des animaux pesant plus de 40 kg ont disparu.

En Amérique du Nord, de nombreuses espèces disparaissent, notamment toutes les espèces proches du cheval, du chameau et du paresseux. Le mammouth laineux, le mastodonte, le lion d’Amérique et le castor géant rendent leur dernier soupir. Toutefois, des espèces comme le bison et le castor survivent en Amérique du Nord sous une forme de taille plus modeste.

Lorsque le climat se réchauffe à la fin de l’ère glaciaire, le sol devient plus humide et la steppe à mammouths est remplacée par la toundra arbustive et les forêts que nous connaissons. Les températures plus clémentes deviennent bien plus accueillantes pour des espèces qui sont aujourd’hui répandues, comme le caribou.

Ces dérèglements et ces disparitions génèrent de nouvelles possibilités pour d’autres animaux comme le cerf et l’orignal qui traversent pour la première fois l’isthme paléogéographique de Béring vers l’Amérique du Nord à cette époque. Quant aux hardes de caribous et de bœufs musqués, ils suivent le recul des glaciers de l’Arctique nord-américain vers le Groenland.

La fin de la période glaciaire s’accompagne de nombreux changements, comme la disparition des grands mammifères. Toutefois, certains de ces mammifères, comme le bison, survivent en s’adaptant à ces conditions changeantes. L’évolution de l’environnement créé de nouvelles possibilités pour d’autres espèces, comme l’orignal et l’homme, qui migrent en Amérique du Nord.